lundi 7 avril 2008

103 - L'eau franco-allemande.

Parfois, il suffit d’avoir des ailes pour s’évader.

Se peut-il que l’on y arrive autrement ?

C’est l’histoire d’un Sage qui, pour rien au monde, n’aurait ouvert les yeux.

Contemplant ses rêves avec plaisir, il s’y voyait contrôler un monde qu’il avait lui-même dessiné.

Du haut de sa tour, le Sage parlait aux nuages. Le ciel, c’était bien la seule chose qu’il ne savait dompter. Pourtant, ailé, il l’était.

Il leur demandait s’ils étaient autonomes.

Bien-sûr que non : seul le vent l’est.

Il leur demandait s’ils étaient tristes.

Bien-sûr que non : seul le vent pleure.

Il leur demandait s’ils mourraient.

Bien-sûr que non : seul le veut meurt.

Il ouvrit les bras, et caressa de ses larmes les gouttes qui frappaient ses vieilles rides. Le peuple, amassé au bas de la tour, lui sommait de descendre. C’était de la folie, semblait-il. Un acte du Diable.

Mais le Sage sentait maintenant le vent emporter ses tracas.

Ses ailes se déployèrent, et d’un geste amical envoya mille baisers à la foule. Il était bien fou, mais il n’en voulait pas pour autant à ses semblables de n’avoir su fermer les yeux.

Il fit enfin le premier pas, et sentit le vent faire violence contre la loi de la pesanteur.

Enfin, il volait. Il ne pouvait pas bouger, mais c’était tout comme.

Il ferma les yeux, et se laisse rêver.

Dans ce nouveau monde, on imagine la suite...

102 - Triumvirat

C’est sur mon bureau que se trouve mon cœur, découpé en trois morceaux. Je le regarde crier.

Le premier sait qu’il doit sa vie à la science.

Composé de mille milliers d’atomes, mélange instable d’eau et de XY, il est bien le plus laid de tous.

Le second, plus petit et frêle, bat comme il peut.

Peu lui importe de comprendre son passé, il n’a pas vraiment d’explication pour cet exploit qu’est la vie :

Il ne vit que parce qu’il le doit.

Avez-vous vraiment l’impression d’avoir eu le choix de vivre ?

Ce morceau s’étrangle, se mouvant sur lui-même, la mort est à ses trousses.

Pensez-vous ? C’était un simple morceau d’homme, un bout d’homme.

Mais on ne peut retirer à une existence sa part de mystères. Alors il se complait dans sa quête sans fin, et explique son arrivée par le futur.

Et le troisième morceau ?

Inerte, il vit dans l’inactivité.

Se demander ce qu’est la vie ? Inutile.

Il aime ne pas réfléchir.

Peut-être même est-il déjà mort. Mais n’est-il pas le plus beau ?

L’innocence, l’insouciance, et la confiance de l’enfant.

L’innocence, parce qu’il ne peut se faire de mal. Il se pose une seule question : « Suis-je ? ».

L’insouciance, parce qu’il se demande sans jamais chercher la réponse : « Suis-je ? ».

La confiance, car même à l’heure de sa mort, sa quiétude sera de mise : « Suis-je ? ».

jeudi 3 avril 2008

101 - Avenue Leon Gourdault.

Cette bonne femme m'a glacé le sang.

Pourtant, quel bonheur ce fut que de voir là la déchéance et l’échec total d’une société sur laquelle on ne peut plus compter.

Sous la pluie battante, sa nuque réagissait frénétiquement, comme si son âme ne pouvait plus supporter de vivre dans ce corps qui, fracturé comme celui d’un chien galeux, gigotait au rythme de ces gouttes contre le pare-brise.

Peut-être pleurait-elle ?

Ses larmes, en tous cas, ne pouvaient être mêlées qu’à cette rivière d’eau polluée qui glissait le long de son visage.

Sa main droite, tremblante, donnait au même instant le tempo, image endiablée de la tristesse l’accablant. Elle tenait un gobelet de couleur jaune, et tout comme sa conscience était remplie d’espoir, deux pièces s’y battaient au centre d’une mare qui les noierait dans peu de temps.

Elle cognait cet objet de plastique contre une voiture comme son cœur s’agitait pour réveiller ses entrailles, et ses pieds, chaussés de ballerines de toute beauté, symbolisaient cette cloison dans laquelle elle s’était engouffrée, cernée par des passants qui ne prenaient plus le temps de la regarder.

De la peine, j’en avais. Alors qu’elle admirait son reflet sur le capot d’une voiture bleue, se disant sûrement à elle-même qu’elle était au summum de sa laideur, j’écoutais du bout de l’oreille cette musique qui, comme par enchantement, collait si bien avec cette scène qui resterait à jamais enregistrée dans mes souvenirs.

Dans sa tête, n’ayez aucun doute, elle avait une vue imprenable sur la douleur qu’engendrait une vie ratée.
Dans ma tête, pour sûr, défilaient les images d’un présent trop cruel et choquant.

Faut-il qu’un jeune de dix-sept ans prenne ainsi conscience du pouvoir des larmes ?

Le front réchauffant cette vitre embuée, je vous l’avoue, j’ai retenu mes larmes et prié.

Comment?

C'est reparti.