mardi 14 août 2007

36. Chiffre maudit.

J'en ai besoin.
Je n'ai pas besoin de ressentir de l'adulation, simplement, je veux savoir. Le savoir est une arme, là seule que je sache dégainer avec un contrôle parfait, un amour intrépide, et qui ne heurtera que les personnes qui se mettront en sens inverse.
Ce qui me pousse à faire ça ?
Je suis perdu. J'ai toujours rêvé... toute ma vie. J'ai rêvé ma pensée, j'ai rêvé un monde différent, j'ai rêvé un Etre humain différent, maintenant je rêve de ce que je pourrais faire.
Non, je n'ai pas d'ambitions sociales dont vous auriez été fiers à ma place.
Mais en fait, je crois bien que j'ai l'esprit trop grand.
Un temps, je me suis imaginé le plus grand penseur des temps modernes. Je voulais savoir, et montrer que je savais. Je sais, les stoïciens me frapperaient à coups de marteaux pour ça.
Un temps, je me suis imaginé le plus grand empereur du monde. J'ai laissé tomber. Les capitalistes m'auraient détruit à coups de faucille avant même que je sois en mesure d'essayer.
Un temps, je me suis imaginé le plus grand de tous vos grands frères. Je voulais pouvoir contrôler chacun. Je contrôle chacun. Il est facile pour toute personne comme moi de comprendre. J'ai l'impression de savoir manipuler, de savoir lire, de percer chez les gens leurs faiblesses. Peut-être dois-je croire en l'astrologie ? Je suis scorpion.
Un temps, enfin, je me suis perdu dans toutes ces pensées.
Je dois vous avouer que je ne savais pas trop où tout ça allait me mener.
J'ai aimé Schopenhauer et Nietzsche. Je crois qu'ils m'ont fait comprendre. Ces personnages avaient une belle vision du monde : crue, et cruelle. Ce qui les différencie est le rapport entre leurs pensées et leurs actes. Nietzsche était franc, Schopenhauer écrivait ce qu'il voyait, mais ne mettait pas en application ces immenses idées autour desquelles il avait sû nager. Bon, c'est un fait, il a inspiré une montagne de gens.
Aujourd'hui, du haut de mes seize ans, je me demande où va me mener tout ce que je fais. J'ai un choix lourd à faire.
Mon âme me dit de rester moi-même. Il est une chose que je suis totalement en mesure de faire, c'est de comprendre, apprendre, et suivre mes principes. La nature m'a rendu conscient. J'ai sû accorder de la valeur aux choses réellement importantes. Je voulais me plonger dans la métaphysique, apprendre pour moi, qu'importe ce que je serais socialement.
Et il y a cet autre "moi", celui qui me demande de ne pas me laisser aller à penser. Je pense savoir qui c'est : mon cerveau. L'Homme n'est pas un animal. Il raisonne, l'animal agit par instinct. Et ça me fait peur.
Mais je doute. Qui a raison ?
Et si je me trompais sur toute la ligne ?
Et si toute cette révolution dans ma tête n'était qu'un leurre ?
Et si la vraie vie était la vie sociale ? Pourquoi devrions-nous chercher le malheur, le pessimisme, le désespoir, dans des rêves qui n'auront aucun lendemain ?
Est-il possible qu'une bête aussi grande que l'Etat aie pû avaler une telle masse de personnes ?
Et si le véritable aveugle était celui qui croyait avoir les yeux ouverts ?
Après tout, Socrate seul savait qu'il ne savait rien, et nous lui avons attribué la connaissance universelle dans le domaine métaphysique le plus intriguant qu'il soit : la philosophie.
Aujourd'hui, j'ai besoin d'aide. Mes idéaux ont poussé mon imagination trop loin.
Il m'est arrivé de croire que j'inventais des personnes. Il m'est arrivé de croire que j'inventais un talent chez moi. Il m'est arrivé de croire que tout ce que j'écrivais n'avait aucun sens, aucune âme réelle.
C'est ce que je vais tenter de comprendre par cette démarche. Si vous êtes ici, c'est que j'ai réussi à faire entendre mon appel. Je ne veux vraiment de réactions, de commentaires, d'appréciations.
Ce qui m'intérèsse, c'est ma réfléxion sur tout ça, ma réelle vocation, en prenant en compte le fait que vous soyiez là.
Le malheur de tout philosophe est d'être trop seul. Sa raison entre dans un cercle vicieux qui alimente sa solitude par une pensée solitaire. Mais lequel des deux vient en premier ?...
Mais ce n'est pas tout. Je ne vous ai pas tout avoué dès le départ. La genèse de cette entreprise.
Je me suis rendu compte de ma conception de la beauté. Avant, n'était beau pour moi que le spirituel. Et finalement, j'ai cru tomber amoureux d'une montagne de choses naturelles, et pas si spirituelles. J'étais émerveillé face à un corps comme je pouvais l'être face à une toile. J'ai trouvé un geste fantastique, au même point qu'une idée.
Je me perds.
Ce changement dans mes idées n'est pas pour autant définitif.
J'appréhende ma future année de philosophie. Je suis mentalement facilement influençable, à même titre que les autres le sont pour moi.
Il a fallu que je trouve de la beauté dans l'intelligence, pour exceller dans ma scolarité. Il a ensuite fallu que je trouve de la beauté dans la mode et l'apparence, pour que je lui voue un culte éphémère. Puis il m'a fallu rencontrer quelqu'un à la pensée immense, aux idéaux si riches, si réfléchis, et pourtant si beaux, pour que je me laisse aller à rêver.
Cette phase m'a été la plus bénéfique, et aussi la plus longue et intense.
Mais aujourd'hui, je tente d'avoir un point de vue extérieur là-dessus. J'ai besoin de savoir si je me leurre, si je suis ce que j'ai toujours vu en l'Homme : quelqu'un de sadomasochiste.
Je ne sais pas qui me viendrait le plus efficacement en aide. Moi-même, les autres, personne ?
L'Etat a-t-il fait de moi ce qu'il voulait ? Ces rêves n'ont-ils été le fruit que de mon imagination débordante, le premier effet d'un trop grand refoulement quotidien de toutes mes envies ?
Ou au contraire, est-il possible que je sois maintenant dans la vérité ? Ou que je l'ai été avant ?
J'ai aujourd'hui des rêves de grandeur. Il ne faut pas avoir peur. Je ne tuerais personne, je ne compte pas contrôler le monde, ni pratiquer un génocide.
Je crois que j'ai simplement envie de dominer. J'ai envie de savoir que je suis là.
Qui sait si toute cette mascarade autour de moi n'est pas qu'une fanfare que je produis pour exister ?
Ou qui sait si elle était réelle, et que je me sentais le devoir de tenter de le faire partager ?
Je suis dans le stade A de ma dépression débordante. Il est maintenant temps d'essayer de comprendre tout ça. Je vous l'avoue, je m'affole.
Dois-je être égoïste, altruïste ?
Ce soir, je dois même vous avouer que Hobbes m'attire plus que Rousseau. Il suffit de comparer leurs vies, leurs souffrances, et de comprendre pourquoi Rousseau décrivait l'Homme d'une manière, et Hobbes d'une autre. Il est simple pour quelqu'un de battu d'éprouver ensuite de l'amour pour une personne.
J'ai l'impression que je succombe.
J'ai trop rêvé, trop jeune. Je ne sais pas.
Et maintenant je pénètre dans le stade B.
J'ai l'impression que tout ça m'énerve à un point encore inégalé.

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