lundi 26 mars 2007

15. De la suite dans les idées.

CHAPITRE I

Un homme ferma la porte. Il était grand, d'une carrure un brin trop frêle, les cheveux jusqu'au cou. Ses yeux étaient châtains et s'alliaient parfaitement à ses cheveux noirs et graisseux.
Il ôta son gros pull de laine, le posa sur une chaise, s'approcha d'une petite boîte en carton fourrée sous une armoire jaunâtre. Il la prit, et la posa sur la table. Il pensait à cette dure journée, ces dix heures de travail l'avaient exténué.
" Tu recommences ?
Un soir, tu finiras de l'autre côté de la fenêtre ! "
" Peut-être y suis-je déja ? "
Il ouvrit la boîte, et sortit sa petite bouteille d'absinthe brune. Il l'ouvrit et secoua le flacon sous son nez pour en savourer la forte et aggressive odeur.
" M'man, ramène-moi un verre ! "
La vieille Rosie se leva de sa chaise et se dirigea vers la cuisine. Elle était d'une pâleur inouïe, ses yeux sortaient de leur orbite et ses lèvres asséchées par le temps ne cessaient de gigoter... une maladie disait-elle.
" Je ne trouve pas de verre comme tu les aimes, Maxi ! Elle va m'entendre celle-là ! "
Maximilien soupira, puis colla la bouteille à ses lèvres, il l'embrassait. Chaque soir, Maximilien rentrait et pratiquait cette même routine. Il était chauffeur de bus écoliers. Il avait pratiqué de longues études littéraires, avait appris le latin, le grec, l'allemand, l'italien, le portugais, l'anglais, le russe et le tchèque en plus de sa langue maternelle, le français. Il pouvait citer le nom des auteurs et chacune de leurs oeuvres. Il savait écrire, et avait même tenté de faire publier son oeuvre " Jésus rachète. "... sans aucun succès. S'il s'est retrouvé chauffeur de bus, c'est parce que la vie l'y avait contraint.
Sa mère.
Elle était malade depuis une dizaine d'années, elle oubliait tout, s'endormait sans prévenir, et ne reconnaissait que son fils. A ses yeux, tous les autres Hommes étaient des fous furieux.
Il avait ses études avec son père en Angleterre, et après des années d'écrivain déchu, était revenu à Paris 304 pour garder sa mère. Celle-ci l'avait appelé, elle avait besoin de lui.
Être écrivain à Paris 304 était impossible.
Silence.
Rosie revint, elle pleurait et avait dans ses mains un grand balai. Elle s'assit sur son fauteuil bleu ciel.
Maxi continuait de boire de longues et douces gorgées d'Absinthe. La bouteille arrivée ç son trois-quart, il la remit dans la boîte, qu'il déposa sous l'armoire. Après quelques instants, sa mère aurait oublié son emplacement.
L'horloge sonnait maintennant les 17 heures. Maxi se moucha dans un petit mouchoir de coton qu'il remit ensuite dans sa poche, puis s'en alla dans la pièce voisine.
" Tu ne passes pas la soirée avec moi ?
Il est 17 heures, Maxi... J'ai peur ! "
" Ils ne viennent pas avant 20 heures, M'man. "
" Ah... "
Rosie sourit. Elle n'aimait pas ces gens.
Elle ferma les yeux et s'endormit.
Une demie-heure après, Maxi revint dans la pièce, prit le bocal posé sur le téléviseur, et le posa sur la table.
Donnez -nous toutes vos mauvaises idées !
Vos envies révolutionnaires doivent être enfermées !
qu'ils disaient. Maxi mit sa face dans le bocal et ferma les yeux. Il pensait à la liberté, à s'enfuir, à tuer. Il mettait tout ça dans le bocal.
" M'man, à ton tour ! "
" Hein ? Ils sont là ? Non ! Je ne suis pas habillée ! "
" Le bocal. Tes idées doivent être mises dedant. "
La mère le prit, mit sa tête à l'intérieur.
Des fleurs, des fruits, des arbres, de l'herbe, un ciel bleu parcouru des milles et unes couleurs de l'arc-en-ciel. Elle mit tout à l'intérieur, puis soupira. Cette manoeuvre l'exténuait à chaque fois. Elle ferma le bocal, se leva, et alla le poser à côté de la porte.
Maxi prit une cigarette de sa poche, l'alluma, et s'assit par terre.
" Un jour, tout finira, M'man. "
" Oui oui, je sais. Le jour où l'on partira. "
Elle s'endormit aussitôt.
Maxi se laissa tomber sur le côté, on eût dit qu'il était un petit foetus dans le ventre de sa mère, dans le ventre de sa vie.

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